LA VIE EN SOLITUDE

D'après "Les cinq principaux regrets des mourants" que Bronnie Ware, auteure et ancienne infirmière en soins palliatifs, décrit dans son livre, "souhaiter avoir gardé le contact avec ses amis" est le quatrième. À l'ère de la connectivité numérique constante, le manque de relations de qualité affecte de plus en plus les personnes de tous âges et de toutes régions.

Jean-Marc Richard, animateur de la Radio 1 de RTS Suisse, reçoit tous les soirs des appels à la "Ligne du Cœur" comme ce petit message de Michael : "J'ai 37 ans et ma solitude est totale. J'ai peur d'un nouvel échec amoureux et je me rends compte que je m'isole de plus en plus. Comment sortir de cette solitude qui m'a transformé en un déchet sans projet et sans avenir ?"

Jean Marc Richard -La Ligne du Coeur - Ma vie face à la solitude

"Tous les soirs, je prends le pouls de la société", confie Jean-Marc Richard. "Ils appellent pour parler de leur situation, qu'elle soit sociale ou psychologique, et puis à un moment donné la solitude surgit très fortement. C'est comme une timidité, une retenue de ne pas l'exprimer directement, mais au terme de nombreux témoignages, la solitude resurgit comme l'élément central".

Une étude récente réalisée par Gallup et Meta, intitulée "L'état global des connexions sociales", qui a interrogé des personnes de plus de 15 ans dans 142 pays entre juin 2022 et février 2023, montre que 25 % des répondants âgés de 15 à 18 ans se sentent "seuls", et les jeunes de 19 à 29 ans ont rapporté un taux de 27 %. Les groupes d'âge entre 30 et 44 ans ont enregistré 25 %, et ceux entre 45 et 64 ans 22 %.

Gallup - L'État Mondial des Connexions Sociales.

Solitude sentimentale

Adèle, réussie dans sa carrière professionnelle, a pourtant vu toutes ses histoires d'amour se terminer en naufrage. Elle se demande souvent : "Pourquoi est-ce que je choisis toujours ceux qui ne s'engagent pas ?". Malgré sa beauté, il n'y a pas une file d'hommes attendant de la rendre heureuse et elle n'a jamais entendu un "je t'aime" de la part de l'un d'eux. À 55 ans, elle craint de ne plus jamais l'entendre. Sans enfants, elle a le sentiment de ne rien laisser derrière elle et d'épuiser ses amis avec ses problèmes récurrents, c'est pourquoi elle s'auto-exclut. Les repas solitaires devant la télévision sont son refuge. La vie, avec son implacable solitude, lui a imposé un atterrissage brutal.

Solitude sentimentale

José Luis Parise, psychanalyste, nous explique qu'il est courant de trouver des patients qui aiment leur partenaire mais ne les désirent pas. Cela s'aggrave lorsqu'ils ont en tête l'option de se séparer. Tant que cette porte est ouverte, ils ne s'engagent pas à trouver des solutions au sein de la relation. Cette attitude conduit les couples à se séparer sans résoudre leurs problèmes, les emportant dans de futures relations. Krishnamurti l'a clairement exprimé : "Si je ne sais pas manier ce bateau, même si je change de bateau, je ne sais toujours pas ramer".

En revanche, seuls 17 % des personnes de plus de 65 ans éprouvent de l'isolement, selon Gallup.

La solitude par choix

Paco, 60 ans, séparé, une fille de 37 ans, religieux, est bipolaire et dévoué au Monastère des Carmélites. Il vit seul dans sa petite maison du quartier Las Dalias de Mar del Plata depuis 25 ans.

— Vous êtes-vous déjà demandé si vous alliez vivre avec quelqu'un ?

— Non. Je vis seul par choix. À une époque, j'ai vécu avec quatre sans-abri que j'avais ramenés pour vivre dans la petite maison de devant pour les aider. Mais c'était une période difficile où je me suis un peu perdu, et une des sœurs du Monastère des Carmélites m'a fait comprendre que je n'étais pas comme eux, que ce n'était pas mon rôle de mendier. Je n'ai aucun problème à me connecter socialement. En fait, j'ai des contacts avec beaucoup de gens, mais ce que je n'ai pas, c'est une vie comme celle de tout le monde, aller travailler à un endroit et respecter un horaire. Je tisse des chemins et des étoles pour le Monastère sur un métier à tisser et je loue la petite maison de devant, avec ça j'ai suffisamment pour moi. Quand j'ai envie de parler, je parle, je suis très loquace et la bipolarité m'aide beaucoup. Tomás Merton, qui est un écrivain en voie de canonisation, dit : "Être saint, c'est être soi-même". Et je peux te dire qu'aujourd'hui, à mes 60 ans, je sens que je ne me suis jamais senti aussi moi-même. Je suis Paco. Je suis ce que je veux être et, donc, comme l'a dit Tomás Merton, je dois être un saint.

— Donc, vous voulez dire que depuis que vous avez décidé de vivre seul, vous ne souffrez pas de la solitude ?

— Il réfléchit. Écoutez, ce que je peux vous dire, c'est que je vis ma liberté. Je décide comment je veux vivre. C'est le libre arbitre, que je ne suis pas disposé à céder à personne, même pas à Dieu.

Paco et la solitude par choix - Entretien avec Des Sons de la Liberté

Le neuroscientifique Mariano Sigman nous dit : "La solitude, c'est de ne pas avoir quelqu'un à qui parler de manière honnête et ouverte. Il faut trouver cette personne, qui n'est généralement pas le partenaire, un parent ou un enfant, car avec tous ces liens, vous avez beaucoup d'attentes et il est très difficile d'éviter le jugement. C'est généralement un bon ami, cette personne avec qui vous pouvez parler de tout, qui vous écoutera, avec qui vous pouvez faire des erreurs, dire les pires choses du monde, tous vos démons, quelqu'un avec qui vous avez le droit de parler dans n'importe quels termes. C'est comme un énorme parachute pour la santé. Ce n'est pas une conjecture, c'est de la science".

Mariano Sigman, neuroscientifique : "La solitude est toxique"

L'isolement chez les enfants et les adolescents

La Dre Miriam Kaufman, psychiatre à l'Institut Kreia de Mar del Plata, a partagé des réflexions profondes sur la solitude et l'isolement :

Au début, nous naissons seuls, nous mourons seuls et nous sommes seuls toute notre vie. Il y a une confusion entre être seul et se sentir seul.

Les enfants n'ont pas cette confusion. Ils ont le langage du jeu et prennent constamment des décisions seuls, mais ils ne sont pas seuls. Il est rare qu'un enfant se sente seul. La seule solitude que ressentent les enfants est l'impuissance de l'adulte qui ne prend pas soin d'eux. Les êtres humains font partie des rares espèces qui ne sont pas autonomes. Une chatte laisse son chaton et il survivra probablement. Si vous ne nourrissez pas un enfant, il meurt.

L'isolement est une chose, et le fait qu'un adolescent aime être seul en est une autre. S'il aime être seul pour profiter de la musique ou autre, cela est lié à un plaisir, alors c'est un choix positif. L'isolement est un symptôme. Vous vous isolez parce que quelque chose vous fait mal, et cela sert toujours à quelqu'un. L'isolement est défensif, il y a quelque chose qui fait mal. On peut dire qu'il ne peut pas se connecter avec les adultes avec lesquels il vit, et en même temps, il est très commode pour les adultes que le jeune passe toute la journée à jouer à la console ou autre. Il y a déjà une structure familiale qui donne des signes que quelque chose ne fonctionne pas bien.

Ce vide crée une douleur que le jeune essaie de calmer avec des jeux, des réseaux sociaux, de la malbouffe ou toute autre échappatoire. Ils ont toujours existé, mais maintenant il y en a plus. Blâmer uniquement les jeux et les réseaux sociaux est une erreur de diagnostic.

Directrice Médicale - Psychiatre - Institut Kreia - Mar del Plata

Ce qui se passe vraiment, et cela nuit aux enfants, c'est que les parents n'ont aucune idée de ce que font leurs enfants. D'autre part, quelque chose qui nous frappe beaucoup en consultation, c'est que les enfants ont du mal à parler. Quelque chose s'est passé entre cette génération et la leur qui les a empêchés de l'apprendre.

Ils ne parlent pas à leurs parents parce qu'ils mangent en regardant la télé, utilisent leurs téléphones portables ou parlent de politique sans comprendre. Quand ils se voient, ils ne posent que des questions comme : "Comment ça s'est passé ?", "Bien ?", "Tu as réussi ?"

Personne ne leur demande : "Qu'est-ce que tu veux ?", "Qu'est-ce que tu aimes ?", "Qu'est-ce qui te fait du bien ?" Quand vous demandez à quelqu'un ce qu'il fait et non ce qu'il est, l'individu disparaît et c'est là que vous trouvez la solitude.

La question est plus complexe : il s'agit d'un problème de communication qui découle d'un modèle culturel qui produit l'isolement.

Enfin, la situation ne se résout pas par "je te retire les jeux" ou "fais du sport". Cela nécessite d'analyser la communication, de démanteler la structure et de créer quelque chose de plus sain.

Faire face à la réalité de nos vies et de nos relations est un défi inconfortable que nous avons tendance à éviter. Le manque d'honnêteté, à la fois envers nous-mêmes et envers les autres, crée une distance émotionnelle qui nourrit une solitude profonde, que Kaufman appelle "l'altérité ou l'état de se sentir à part": c'est sentir que nous ne sommes pas vraiment nous-mêmes. Il est crucial de commencer un voyage intérieur, de réfléchir à nos besoins et émotions authentiques, de chercher du soutien, de prendre des décisions cohérentes et d'être honnêtes avec nous-mêmes.

Sources :

1.     Temps Présent : Ma vie face à la solitude – RTS Radiotélévision Suisse. Nicolas Pallay, Sabine Pirolt.

2.     Gallup – Meta. 2023 : The Global State of Social Connections.

3.     José Luis Parise, Psychanalyste. Pareja, Amor, Deseo. Min. 37:06 à 37:53.

4.     Mariano Sigman, Neuroscientifique. "La solitude est toxique, avoir quelqu'un à qui parler est un énorme parachute pour la santé". El País, 19/10/2022. Javier Salas.

5.     Dre Miriam Kaufman. Psychiatre. Institut Kreia Mar del Plata. Enfants et adolescents. Entretien 04/06/2024.

6.     Connaissez-vous bien votre famille ? Nación Jeep. 30/11/2018.

7.     Eat together. Crave More. Canada. Avril 2017.

8.     The Top Five Regrets of the Dying: A Life Transformed by the Dearly Departed. Par Bronnie Ware. NHI (National Library Medicine-2012- Beverlee Warren-MA, MS).